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l'écran intérieur des paupières
1 juin 2010

Le labyrinthe originel

Le labyrinthe est devenu quelque chose d’important dans ma vie un jour de l’année de mes sept ans. Si j’avais été confrontée avant ce jour à des représentations ou des sensations labyrinthiques, c’est certain, ne serait-ce qu’au travers d’albums de jeux éducatifs dans lesquels la fourmi ou le chat sur la page doit trouver le plus court chemin vers le pot de miel ou le morceau de gruyère à trous ; mais c’est ce labyrinthe-là qui m’est resté gravé en tête, à l’origine.

Il s’agissait, en principe, d’un jeu (était-ce vraiment toutefois un article destiné aux enfants, ou à eux seuls ?) : une goutte de mercure enfermée dans un dédale de plastique noir, un motif de Chartres en miniature sous un couvercle transparent. Il suffisait d’un rien pour que cette goutte, qui glissait merveilleusement, se dédoublât chaque fois qu’elle rencontrait l’arête d’un mur, se transformât en infimes infinies paillettes dès qu’on secouait le plateau. Pour gagner, il fallait donc incliner et diriger l’objet avec assez de délicatesse pour garder la goutte entière et la faire rouler jusqu’au centre du labyrinthe – ou en sortir, selon – en déjouant les impasses. Le moindre faux mouvement réduisait tout à néant, puisqu’il était bien entendu inconcevable de compter pour une victoire le fait d’avoir amené une partie de la goutte au centre si des parcelles de vif-argent subsistaient encore aux encoignures du circuit.

Ce jeu parfait pour rendre fou, je l’avais repéré un jour de vacances chez ma grand-mère. L’ayant aperçu dans le rayon des journaux que nous avions traversé en arrivant au supermarché, je n’avais eu de cesse ensuite de m’évader de ces courses pour rejoindre cette goutte, espérer à nouveau la faire progresser vers son but, avec un sentiment de défendu et de culpabilité tel (puisque je me doutais bien de l’inquiétude que je causais ainsi) qu’à la fin, lorsque ma grand-mère me retrouva encore avec le jeu entre les mains et qu’elle me demanda si je le voulais, je refusai.

Je n’en ai jamais vu de semblable depuis, et il m’est souvent arrivé de regretter ce refus.

Avais-je eu l’intuition de l’addiction qu’aurait inévitablement entraîné pour moi la possession de cet objet ? Avais-je deviné qu’il était impossible à posséder, comme une énigme ou un paradoxe ? Le fait est que j’y pense encore aujourd’hui et que ce labyrinthe me possède plus sûrement que si je pouvais le tenir entre mes doigts, y jouer un moment et le ranger dans un coin. Ce labyrinthe qui obsède et englobe ma pensée est tatoué en moi à l’encre indélébile. Il est ma pensée et contient ma pensée, il rend tout labyrinthe.

chartresscript

 

image : www.labyreims.com

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Commentaires
C
à mon époque, la goutte de mercure avait été remplacée par une bille de métal ! Cela rendait le jeu bien moins difficile. Pour ma part, j'avais reçu en cadeau un labyrinthe à trous, objet en bois avec des molettes sur les côtés pour faire pivoter le plateau. Je n'en garde pas un souvenir grandiose !
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  • une "mémoire visuelle [qui] projette instantanément, sur l'écran interne des paupières closes, l'image rigoureusement fidèle et objective d'un visage aimé, comme un fantôme minuscule en couleurs naturelles..." Nabokov
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