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l'écran intérieur des paupières
7 juillet 2007

Joyeux anniversaire

Scène 1 - Samedi 12 mai

Intérieur-jour.

Dans la cuisine, au rez-de chaussée, après le déjeuner. Une carafe d’eau et quatre sets sont restés sur la table, qui pour le reste est débarrassée. Gray prépare les cafés à la machine à pression posée sur le plan de travail. Olga est assise.

Olga : Quand je pense que dans une semaine c’est l’anniversaire de Nina…. Ça me stresse.

Gray : Pourquoi ?

Olga : Tu sais bien…

Gray revient s’asseoir avec les deux cafés.

Gray : Oui, mais je ne vois pas pourquoi. Au moins ça te permettra de faire le tri entre ceux qui comprennent et les autres…

Interruption. On entend les pas d’un enfant qui descend des escaliers. C’est Zoé, trois ans, une poupée à la main, qui entre dans la cuisine et s’approche de la table.

Zoé : Maman ou Gray, vous pouvez remettre les chaussures de ma poupée ?

Gray : Voilà, ça y est. Allez, va jouer, maintenant !

L’enfant s’en va.

Olga : Tu ne comprends pas. Ce n’est pas de moi qu’il s’agit, mais des filles. J’ai peur que ça ne rejaillisse sur elles, qu’elles soient exclues, qu’elles ne soient plus invitées par leurs amis… Déjà la mère de Paula est bizarre, je trouve…

Gray : Tu t’imagines toujours des choses. Ce n’est pas en ayant honte de ta vie que ça va les aider. Il faut leur expliquer, leur donner des arguments, au contraire, pour leur permettre de réagir si quelqu’un leur fait des réflexions…

Olga : Eh bien moi ça me rend malade.

Elles ont terminé leur café. Gray range les tasses dans le lave-vaisselle.

Scène 2 - Mardi 15 mai

Intérieur-nuit.

Dans la chambre. Olga et Gray sont couchées et lisent. Gray referme son livre.

Gray : Pour samedi, on a plusieurs solutions : faire comme l’an dernier, c’est-à-dire que je suis là au début, style baby-sitter qui vient aider sa copine à organiser l’anniversaire, et puis je m’en vais avant la fin ; ou alors je pars carrément tout l’après-midi – mais ça m’embête car je voudrais quand même t’aider – ; ou encore tu me présentes aux parents quand ils viennent accompagner leurs enfants, comme ça je peux rester…

Olga : Cette année j’aimerais bien y arriver… Au moins à te présenter. Je ne peux pas encore dire « mon amie », mais au moins je ne dirai plus « une amie »…

Gray : Tu n’as qu’à dire mon prénom ! Mais, si tu préfères, je m’en vais, comme ça c’est plus simple.

Olga : Si tu savais comme je me sens mal, je sais ce que je te fais subir…

Gray : Bon eh bien si c’est ça je fais le rôle de la baby-sitter. Et je m’éclipse avant qu’ils ne viennent chercher leurs enfants, comme ça on n’a pas l’impression que j’habite ici.

Olga : Tu seras là au début, alors ?

Gray : Ben oui… Je ne comprends pas, tu préfères que je ne sois pas du tout là ? Et Nina, elle serait déçue si je n’étais pas du tout là…

Scène 3 - Jeudi 17 mai

Extérieur-jour.

Le matin, dans la rue, vers une station de métro.

Une certaine tension.

Gray : J’ai réfléchi à cette histoire d’anniversaire. Comment je vais faire ? Je ne veux pas rester dans la cuisine, ou en retrait… Il faut que je sois près de toi, pour les accueillir…

Olga : Si tu veux organiser ça comme une pièce de théâtre, ce sera tout sauf naturel. Déjà les parents ne restent pas toujours, comment prévoir, ça ne va pas me faciliter la tâche.

Gray : J’en ai marre de tout ça ; je vais aller à la bibliothèque toute la journée.

Scène 4 - Samedi 19 mai

L’anniversaire. Maison décorée, ballons, guirlande «  Joyeux anniversaire ».

Gray et Olga sont assises dans le salon, l’une sur le canapé, l’autre sur un fauteuil, désœuvrées. Olga regarde sa montre.

Olga : Ils sont en retard…. Si ça se trouve, personne ne va venir…

Gray : Je ne vais pas tarder. J’ai promis à Nina de lui acheter un dictionnaire et la librairie ferme tôt, le samedi. Et puis demain c’est dimanche.

Olga : Tu t’en vas ? Alors qu’on avait prévu…

Gray : Je serai là tout à l’heure, voilà tout ! Quand ils viendront récupérer leurs enfants. Toi‑même, tu disais qu’il ne fallait pas tout planifier.

On entend la sonnette. Olga ouvre la porte et accueille les arrivantes : une mère et sa fille qui commencent à entrer, tandis qu’on devine que d’autres invités arrivent derrière. De l’autre côté, Nina qui a entendu la sonnette déboule dans le salon, suivie de Zoé avec sa poupée. Gray est au milieu de la pièce, habillée pour sortir. Elle prend un porte-monnaie sur le buffet.

Nina (à Gray) : Mais pourquoi tu as mis ton blouson ? Tu t’en vas ?

Puis, se tournant vers son invitée : Bonjour, Paula !

FIN

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O
Il existe un cas particulier de discrimination : celle dont on peut se rendre soi-même victime du seul fait d’intégrer les tendances discriminatoires existant à l’état latent dans la société et que, par un mode de raisonnement pervers, on s’applique à soi-même en se soumettant à la loi écrasante du plus grand nombre au lieu de lui opposer une vision qui assume sa différence et sa liberté.<br /> L’impossibilité d’adhérer aux standards sociaux et la difficulté de vivre conformément à sa personnalité dans une société qui se conforme à ces standards, peuvent en effet être facteurs d’exclusion du fait d’un phénomène pervers que l’on peut qualifier d’«auto-discrimination».<br /> Olga a deux enfants. La perspective de l’anniversaire d’une de ses filles exacerbe chez cette mère qui vit avec une autre femme la crainte d’une discrimination dont ses enfants seraient victimes, et ranime chez elle le sentiment de la « faute » qu’elle aurait commise en imposant à ses enfants le mode de vie qu’elle a choisi. Dans ce contexte, un événement qui d’ordinaire est censé être joyeux prend la seule figure d’un problème.<br /> La discrimination dont il est question n’est donc pas «active», ou ouverte, à l’égard d’une différence. Ceux qui représentent la majorité (les parents des autres enfants invités à l’anniversaire) apparaissent, dans la scène finale, neutres voire amicaux, puisqu’ils ont répondu à l’invitation de celle qui se regarde comme une réprouvée. La discrimination, ici, n’est en quelque sorte pas le fait du «dehors». Au contraire, elle provient du «dedans» : à cet égard, symboliquement, toutes les scènes prennent place à l’intérieur du monde d’Olga et Gray. <br /> Ce reniement d’elle-même est le signe qu’Olga adopte comme critères de pensée ce qu’elle se représente comme des normes sociales intangibles, sans pour autant en avoir éprouvé la réalité. En effet, elle ne semble pas avoir fait l’objet d’une discrimination «active». Mais, tout en souffrant du caractère discriminatoire de ces schémas de pensée, elle se les applique à elle-même.<br /> Elle est ainsi persuadée que la société désapprouve sa manière d’agir ; cette conviction annihile chez elle toute possibilité d’action.<br /> La discrimination, chez Olga, s’opère donc principalement dans son imagination ; et comme ce personnage se coupe lui-même de la société dont il pense qu’elle le rejette, il ne se donne pas la possibilité de vérifier la véracité ou non de ses suppositions. Il entre dans un cercle vicieux par lequel il s’exclut lui-même et s’exclut de lui-même, à défaut de s’accepter totalement à ses propres yeux comme différent de la majorité.
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