Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
l'écran intérieur des paupières
31 août 2007

Détail du 8 août

L’autre jour (c’était le 8 août), je suis allée à la rencontre d’inconnus (ce qui demande toujours un terrible effort sur moi-même). Le rendez-vous avait été fixé dans un café de la place de la Bastille, peut-être pas celui que j’aurais choisi, mais il s’agissait de me soumettre à une expérience dont je ne définissais aucun terme, si ce n’est la décision de la tenter. Il pleuvait. J’avais été, parmi d’autres, destinataire d’un mail dont je ne connaissais pas l’expéditrice. En sortant du métro, j’observais les passants en les associant aux adresses mail des autres. De toutes façons, j’étais en retard sur l’horaire, que je ne considérais pas (ou n’avais pas voulu considérer) comme absolument contraignant. La question était évidemment le moyen par lequel je reconnaîtrais celle qui était à l’origine de ce rendez-vous, ce qui par définition était impossible. J’essayais de ne pas trop réfléchir et de me fier au hasard. Or j’aperçus en terrasse la tête de l’unique destinataire du mail que j’avais déjà rencontré. Ça s’était passé très vite, à la gare Saint-Lazare, un peu comme dans cette publicité du siècle dernier pour une grande marque de glaces, où sur fond de guerre froide, deux agents secrets en imperméables gris se retrouvent un matin brumeux au milieu d’un pont, échangent leurs mallettes et les codes convenus avec de forts accents russes : «La framboise est ponctuelle», disait le premier. «Et le citron, pressé», répondait le second. Nous avions rendez-vous un soir au bout du quai 1 parce que je devais récupérer des journaux qu’il détenait en stock chez lui. Je m’approchai de lui et me présentai à toute la table. C’était le moment de passer la commande, mais il me parut trop difficile de manger quelque chose dans ces circonstances et je pris simplement un café. Les autres commandèrent des sodas, un verre de vin et un Banana split. Par le temps qu’il faisait, cette gourmandise avait quelque chose d’une tyrannie sans concession ; mais par un curieux détour du raisonnement, j’ai toujours admiré ceux qui en étaient victimes de pouvoir y céder (pour ma part, même si j’en avais crevé d’envie, je ne me le serais pas autorisé). La banane arriva, surmontée de la classique ombrelle en papier, et l’organisatrice nous expliqua les règles du jeu. D’après ce que je compris, il s’agissait du deuxième acte d’une ascèse littéraire qui avait d’abord visé à la plus grande objectivité possible et qui tendait maintenant à la plus grande subjectivité. En bref, il s’agissait d’élaborer un texte à partir d’un détail de la soirée de manière à ce qu’on ne reconnaisse plus le contexte d'où il était tiré. Ces textes seraient qualifiés de «détails écrits infiniments subjectifs» (ou : DEIS).

Tout dépend bien sûr de ce qu’on entend par détail. Je choisis celui de la glace.

«Cette ombrelle de soie rouge pouvait bien être la fraise qui manquait au sorbet. Les enfants appellent ça un "parapluie" : logique, pour qui commande une glace même un jour de pluie froide. J'ai toujours trouvé la gourmandise émouvante. Elle m'évoque une enfance où tout est encore possible - et je grelotte avec ma boisson chaude.»

Olive Oil - On the dotted line (Les pointillés des formulaires), 1972 et après.

Publicité
Publicité
Commentaires
l'écran intérieur des paupières
  • une "mémoire visuelle [qui] projette instantanément, sur l'écran interne des paupières closes, l'image rigoureusement fidèle et objective d'un visage aimé, comme un fantôme minuscule en couleurs naturelles..." Nabokov
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
l'écran intérieur des paupières
Newsletter
Publicité