Les impudents - Duras

Le premier de M.D.

On pourrait dire que Les impudents, le premier roman de Marguerite Duras (Plon, 1943), est à Un barrage contre le Pacifique ce qu’un village de Dordogne est au grand bleu. Si j’avais lu ce roman "à l’aveugle", en aurais-je reconnu l’auteur ? Pas sûr.
J’aurais plutôt dit d’un Mauriac mâtiné de Moravia (étrangement, il y a quelque chose chez ces Impudents - ne serait que le titre - des Indifférents, le premier roman d’Alberto Moravia, 1929) pour cette histoire de domaine terrien, de rancunes et de convoitises, d’argent, de chaleurs d’été, et de familles dans lesquelles on se déteste sans pouvoir se séparer.

Pourtant, c’est bien du Duras. Du Duras d’avant Duras : la mère se tue en vain à la tâche pour relever une propriété incultivable comme elle se battrait contre les moulins à eau de l’océan...et pour payer les dettes du grand frère, on vendrait la sœur pour cinquante mille francs, à défaut de crapaud...

Pour qui la connaît déjà, c’est aussi du Duras rétrospectif : une mère qui "se doit toujours davantage au plus malheureux de ses enfants, celui que tout le monde abandonne" attire forcément davantage l’attention si on en a déjà entendu parler… Dans ce roman dédié par l’auteur "à [son] frère, Jacques D., [qu’elle n’a] pas connu", on est frappé par la présence, dès le seuil d’une grande œuvre, des thèmes qui la nourriront.

Je ne conseillerais pas ce premier roman pour un premier Duras. Mais il est à lire absolument si l’on veut mesurer, à partir de ce premier point déjà remarquablement élevé, le chemin parcouru par Duras pour inventer son style.