Cigales, cafards, cochons
L’autre jour, j’ai vu Ling Xi à la T.V. Chinoise, Ling Xi vit en France depuis 1998 ; elle a écrit son premier roman en français. Son existence ne m’était pas totalement inconnue : j’avais déjà remarqué dans les librairies la belle couverture d’Eté strident*, mais je ne l’avais pas soulevée. Lors de cette émission, j’ai apprécié le ton net et la franchise du discours de Ling Xi. Elle a exprimé, notamment, son indignation face à l’« exotisme gratuit » des grandes productions cinématographiques qui se contentent de renvoyer l’Occident à ses propres fantasmes en ne lui montrant de la Chine que ce qu’il a envie d’en voir ; si elle a admis que des vêtements « de piètre qualité » fabriqués en Chine envahissaient le marché mondial, elle leur a opposé les habits que certaines marques françaises de prêt-à-porter proposent à un prix ne justifiant pas que leurs boutons s’en aillent au bout de trois semaines, alors que pour la même somme ou même moins, on trouve à Shanghaï des tailleurs qu’on peut porter « même à l’envers » tant les finitions en sont parfaites. Ling Xi évoqua aussi l’effet pervers des grèves de transport qui aboutissent à prendre en otage la seule partie précisément de la population qui n’y peut rien et qui n’a d’autre choix que de subir.
Cette aptitude au renversement de perspective, je l’ai retrouvée dans Eté strident que j’ai emprunté le lendemain à la bibliothèque. « C’était un grand peuple à l’époque, pays d’ingénieurs, patrie des poètes. Et non le synonyme de traiteurs sympas et pas chers. » Que l’on ne se méprenne pas sur ces paroles de l’éleveur de cafards : c’est bien de la France qu’il s’agit ici…
La forme aussi est inédite, ouverte à tous les possibles, du genre de celles dont Jarry disait que « tous les sens qu’y trouvera le lecteur sont prévus, et jamais il ne les trouvera tous ».
Enfin – nouvelle manifestation du « hasard » des livres qui ont la bonté de nous laisser croire que c’est nous qui les choisissons – je n’ai presque pas été étonnée de rencontrer parmi les personnages de ce roman un cousin cochon, « qui était devenu au fil des années une femme »…
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Ce livre ne se raconte pas, il se lit.
« Les cigales sont mortes. Ou alors, après un été strident, elles ont perdu la voix. »
*Eté strident, Ling Xi, Actes Sud, 2006, ISBN 274276365-I